Redéfinir la plasticité cérébrale : nouvelles perspectives sur l’adaptation

Depuis la première cartographie du cortex au début du XX siècle, la compréhension de la plasticité cérébrale n’a cessé de progresser (Pascual-Leone et al., 2011). Les avancées récentes, publiées par notre équipe, révèlent une dimension résolument dynamique et situationnelle de cette plasticité, dépassant le cadre généraliste du « cerveau qui change ».

  • Plasticité transactionnelle : Les recherches croisées avec l’équipe de l’Université de Genève démontrent que la plasticité cérébrale est fortement conditionnée par l’environnement socio-affectif et la charge émotionnelle des expériences vécues (Bahrick et al., 2023). Un enfant placé dans un contexte de stimulation affective riche développe, à réseaux identiques, une efficience adaptative supérieure à celle d’un enfant en contexte stressant chronique — différence mesurée par IRM fonctionnelle sur des centaines de volontaires en Europe.
  • Une cartographie fine de la réorganisation synaptique : Nos analyses longilignes sur des cohortes d’adultes confrontés à des changements professionnels brutaux (reconversion, chômage, etc.) attestent d’une reconfiguration accélérée des connexions préfrontales et pariétales. Ce remodelage est optimal lorsque le soutien social perçu est élevé, rejoignant ainsi les travaux de Tost et al. (Nature Neuroscience, 2022).
  • Rôle inattendu du sommeil paradoxal : Une publication conjointe avec le CNRS met en lumière que les phases de sommeil paradoxal consécutives à un apprentissage difficile sont associées, chez l’adulte comme chez l’enfant, à une amplification de la mémoire adaptative. Ce phénomène s’observe notamment dans l’intégration de nouvelles règles en mathématiques (Hennies et al., 2024), et ouvre des pistes pour la remédiation cognitive.

Intelligence artificielle et modèles bio-inspirés : à la frontière du vivant et du digital

L’année 2023 a vu nos collaborations interdisciplinaires explorer les croisements entre intelligence humaine et intelligence artificielle. Un enjeu central : modéliser des systèmes adaptatifs capables de « sortir du cadre », d’éprouver les limites de leur modèle et de s’y ajuster, à la manière humaine.

  • Apports de l’apprentissage bayésien adaptatif : Inspirés par la théorie du cerveau bayésien (Friston, 2015), nous avons développé avec l’INRIA un algorithme expérimental de robots éducatifs capables d’ajuster leur comportement face à des inconnues contextuelles (changement d’enseignant, consignes imprécises, ambiance de classe). Les essais menés dans trois classes primaires françaises ont révélé que les élèves renforçaient leur engagement (hausse de +23% du taux de participation) quand l’IA savait admettre son incertitude et demandait de l’aide en retour.
  • Vers une IA sensible aux handicaps cognitifs : En partenariat avec le Centre de Référence Troubles du Langage, nos publications testent l’intégration dans l’IA conversationnelle de variables adaptatives propres aux enfants dyslexiques ou porteurs de troubles de l’attention. L’IA, dotée d’une « mémoire contextuelle fonctionnelle », adapte alors l’allure, la reformulation et la redondance du discours. À la clé : une réduction de 28% du taux d’abandon lors des tâches de compréhension complexe, preuve que la dimension adaptative n’est ni un « supplément d’âme » ni un gadget, mais le cœur même d’un progrès technologique inclusif.

La cognition sociale revisitée : empathie, flexibilité, co-adaptation

L’adaptation ne concerne pas seulement les situations, mais aussi les personnes autour de soi. Les dernières enquêtes longitudinales publiées par l’équipe explorent les ressorts neurocognitifs de la flexibilité dans le lien social, notamment chez les publics fragiles.

  • Nouveaux marqueurs de la flexibilité intersubjective : Grâce à des mesures d’oculométrie et d’analyse du mouvement corporel, il a été possible d’identifier des « micro-comportements adaptatifs » chez des adolescents porteurs de troubles du spectre autistique (TSA). Parmi ces marqueurs : la synchronisation du clignement des yeux lors de l’écoute active, prédictive d’une meilleure coopération ultérieure (Etude multicentrique INSERM, 2023).
  • Dynamique de la co-adaptation en situation de désaccord : Plusieurs travaux récents démontrent que l’intelligence adaptative se déploie fortement dans les conflits ou négociations, mobilisant des réseaux cérébraux spécifiques (insula, cortex cingulaire antérieur). Lors de débats contradictoires filmés et décodés par IRM (protocole COALITION 2023), les sujets capables de modifier leur point de vue sans s’effacer eux-mêmes développaient une sensibilité accrue à la nuance dans la perception sociale, mesurée par la reconnaissance fine des expressions émotionnelles.
  • Flexibilité sociale après traumatisme : Notre partenariat avec le CHU de Montpellier a observé, sur douze mois, l’évolution de la flexibilité adaptative de personnes victimes d’accidents de la route. L’entraînement à l’écoute active doublait le score de flexibilité interpersonnelle lors de la reprise d’un emploi, par rapport à un groupe contrôle, soulignant l’effet structurant du soutien social sur la plasticité adaptative post-traumatique.

Handicap, neurodiversité et intelligence adaptative : comprendre, outiller, transformer

Une part croissante des publications de l’équipe porte sur l’intelligence adaptative au prisme du handicap et de la neurodiversité. Ce champ, longtemps réduit à une « résilience face à l’adversité », s’élargit : il s’agit désormais de comprendre comment la différence cognitive engendre d’autres modalités d’ajustement, souvent fécondes (Craddock & Knafo, 2022).

  • Intelligence adaptative et TSA : vers de nouveaux outils d’évaluation : Nos récentes études comparées démontrent que les tests classiques, centrés sur la résolution de problèmes formels, sous-estiment la créativité adaptative propre à certains profils autistiques. L’élaboration d’échelles situationnelles (par ex. : ajustement à des routines modifiées, réponse à des imprévus sociaux) révèle une bien plus grande disparité intra-groupe, ouvrant la voie à une évaluation plus juste des potentialités adaptatives.
  • Innovation pédagogique : l’effet de l’auto-exploration guidée : Un projet mené auprès de 140 enfants présentant une dyspraxie montre que les programmes laissant une place à l’erreur et à l’hypothèse personnelle augmentent la prise d’initiative, réduisant de 32% l’anxiété face à l’apprentissage (publication CRAPA 2024).
  • Handicap visuel et stratégies d’ajustement : Les dernières analyses (Université Lumière Lyon 2, 2023) soulignent que, chez les enfants aveugles précoces, l’intelligence adaptative se manifeste par une anticipation corporelle accrue. Les tests de navigation fine révèlent des scores supérieurs de mémorisation spatiale (jusqu’à +18% par rapport au groupe témoin voyant) dès lors que les outils d’accompagnement valorisent l’exploration active de l’espace.

Quels nouveaux outils pour mesurer et stimuler l’intelligence adaptative ?

Le champ de l’intelligence adaptative se réinvente aussi grâce à l’arrivée de nouveaux instruments d’évaluation et d’intervention. Fin 2023, plusieurs publications de l’équipe ont mis en lumière des outils innovants, pensés pour des publics variés et validés scientifiquement.

  • Le test ADEA : Construit en partenariat avec le Labex Cortex, l’outil Adaptative Dynamical Executive Assessment (ADEA) mesure la capacité à changer de stratégie en contexte d’incertitude. Il a été utilisé auprès de plus de 400 adultes et enfants, avec une fiabilité test-retest supérieure à 0,91 (publication Cortex, 2023).
  • Les « carnets d’expérimentation » éducatifs : Dispositif original de suivi longitudinal, ces carnets numériques invitent élèves et enseignants à consigner, relire et commenter les moments où il a fallu s’adapter. L’analyse de près de 12 000 annotations a permis d’identifier les conditions favorisant le rebond, notamment la valorisation de l’effort et la reconnaissance de l’émotion.
  • Simulations immersives pour les soignants : Grâce à la réalité virtuelle, les professionnels peuvent désormais s’entraîner à ajuster leurs réactions face à des situations cliniques imprévues (anxiété soudaine, comportements inattendus…). Les simulations menées dans quatre hôpitaux pilotes ont démontré une amélioration de 17% dans la prise de décision adaptative après 8 séances.

Pour une intelligence adaptative partagée : l’avenir du champ

L’étude de l’intelligence adaptative, loin d’une simple curiosité de laboratoire ou d’une injonction au « toujours plus flexible », reconfigure aujourd’hui notre rapport à l’apprentissage, à la vulnérabilité et à l’innovation collective. Elle questionne la place du social, du collectif, et du soin dans la construction du sens. Les publications récentes le montrent : la révolution de l’adaptation est autant éthique, éducative, que scientifique. Les travaux à venir, nourris par la pluralité des approches, s’attacheront à déployer des outils accessibles, inclusifs et porteurs de transformations durables pour chacun, dans ses singularités.

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