Éclaircir le concept : qu’est-ce que la plasticité cérébrale ?

La plasticité cérébrale, ou neuroplasticité, désigne la capacité du cerveau à se modifier en réponse aux expériences, aux apprentissages et aux blessures. Ce terme, longtemps réservé à l’enfance, a vu son périmètre étendu par les découvertes de neurosciences du dernier demi-siècle : le cerveau d’un adulte, tout comme celui d’un aîné, est capable de réorganisations structurales et fonctionnelles.

Concrètement, la plasticité se manifeste par plusieurs phénomènes :

  • La création de nouvelles connexions synaptiques (synaptogenèse)
  • L’élimination des connexions inutilisées (élagage synaptique)
  • La genèse de nouveaux neurones dans certaines régions (neurogenèse adulte, notamment dans l’hippocampe)
  • La modification de la force des synapses (potentialisation/dépression à long terme)

Cette plasticité constitue le moteur de l’apprentissage, de la mémoire, de la récupération après lésion… et, plus largement, de notre capacité à nous adapter. Mais que devient-elle au fil du temps ?

D’un cerveau enfant à un cerveau adulte : plasticité et âges de la vie

L’enfance est souvent présentée comme l’âge d’or de la plasticité. Il est vrai que, durant cette période, le cerveau connaît une densité synaptique maximale, et des fenêtres sensibles (ou périodes critiques) permettent l’acquisition rapide du langage ou de certaines compétences sensori-motrices. Selon une étude publiée par Huttenlocher (1979), un enfant de trois ans dispose de presque deux fois plus de connexions synaptiques qu’un adulte.

A partir de l’adolescence, l’élagage synaptique affine les réseaux, mais la plasticité ne s’éteint pas pour autant. Chez l’adulte, elle devient moins spectaculaire, plus localisée, mais demeure puissante, notamment dans les zones impliquées dans l’apprentissage (hyppocampe, cortex préfrontal).

La plasticité cérébrale au grand âge : des limites… mais pas de fatalité

La question centrale revient sans cesse : la plasticité cérébrale diminue-t-elle avec l’âge ?

Les études longitudinales et d’imagerie cérébrale indiquent effectivement une réduction progressive de certains aspects de la neuroplasticité à partir de la cinquantaine.

  • L’activité de neurogenèse dans l’hippocampe baisse de façon notable, bien que certains travaux (Boldrini et al., 2018, Cell Stem Cell) démontrent que la production de nouveaux neurones persiste à un âge avancé.
  • La capacité de réorganisation corticale, mesurée lors d’apprentissages moteurs ou cognitifs, devient plus lente et requiert des stimulations plus importantes pour être observée (Lövdén et al., 2010, Nature Reviews Neuroscience).
  • La récupération après un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme est en général moins complète chez les personnes âgées que chez les jeunes adultes, mais la rééducation peut encore susciter d’impressionnants remaniements.

Cependant, la plasticité vieillissante n’est pas synonyme d’extinction. Il s’agit plutôt d’une réorganisation : le cerveau âgé tend à mobiliser de façon plus distribuée plusieurs régions pour accomplir une tâche, un phénomène décrit comme la “compensation fonctionnelle” (Reuter-Lorenz et Park, 2014).

Par exemple, chez les seniors qui s’entraînent à de nouveaux exercices mnésiques, des zones du cortex préfrontal s’activent davantage pour “soutenir” l’hippocampe, parfois défaillant.

Mythes et nuances : l’âge n’est qu’un facteur parmi d’autres

Si la plasticité décline globalement, elle est loin d’être uniformément affectée par le seul vieillissement chronologique. Plusieurs facteurs, biologiques et environnementaux, interagissent dans ce processus :

  • Prédispositions génétiques : Certains variants génétiques influencent la facilité avec laquelle un cerveau âgé peut se remodeler.
  • Hygiène de vie : L’activité physique, une alimentation adaptée (notamment le régime méditerranéen), la gestion du stress et le sommeil favorisent la plasticité à tout âge.
  • Richesse des stimulations : L’environnement sensoriel, social et intellectuel garde un rôle-clé, comme le montrent les expérimentations sur l’enrichissement de l’environnement chez l’animal et l’humain (Kempermann et al., 2004).
  • Présence de pathologies : Certaines maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, maladies parkinsoniennes…) altèrent plus spécifiquement les circuits de la plasticité.

Chiffres clés pour nuancer

  • L’étude ACTIVE (Ball et al., JAMA, 2002) menée sur plus de 2 800 seniors montre que des programmes d’entraînement cognitif ciblé induisent des gains transférables dans la vie quotidienne, et que ces avantages persistent 5 ans après l’intervention initiale.
  • La capacité du cerveau âgé à créer de nouvelles synapses existe : chez les personnes âgées de 70 à 80 ans ayant commencé un instrument de musique, des modifications structurelles et fonctionnelles durables sont observées dans les régions sensori-motrices (Chan et al., 1998, NeuroReport).

Comment entretenir la plasticité cérébrale ? Apports scientifiques récents

Stimulations cognitives : ce que l’expérience révèle

  • Curiosité et apprentissage tout au long de la vie : L’adulte qui continue à apprendre (une langue, un instrument, des jeux nouveaux) favorise une “réserve cognitive” protectrice contre les effets de l’âge (Stern, 2009, Lancet Neurology).
  • Stimulation sociale : Les interactions fréquentes et variées dynamisent les réseaux cérébraux du langage et de l’empathie, et préviennent le déclin de certaines fonctions exécutives.

L’activité physique, socle du “cerveau en mouvement”

  • Marcher une heure par jour, ou suivre un programme d’aérobie deux fois par semaine, augmente l’épaisseur du cortex cérébral chez les seniors (Colcombe et al., 2006, Journal of Gerontology).
  • Des exercices de coordination et d’équilibre, comme la danse ou le tai-chi, soutiennent la plasticité motrice et la connectivité entre les hémisphères.

Alimentation et sommeil : alliés du cerveau flexible

  • Une alimentation riche en oméga-3, en antioxydants, en vitamines du groupe B, protège les membranes neuronales et réduit le risque d’atrophie de certaines régions.
  • Le sommeil profond stimule le “nettoyage” des déchets cellulaires (système glymphatique), et favorise le renforcement des synapses sollicitées dans la journée.

Quand la maladie bouleverse la plasticité : Alzheimer, AVC, et potentiel de récupération

Chez les patients souffrant de maladies neurodégénératives, la capacité de remaniement cérébral n’a pas totalement disparu : même en cas d’Alzheimer débutant, des thérapies de stimulation cognitive, des interventions de groupe ou la pratique de l’art-thérapie montrent des bénéfices mesurables (Clare et al., 2010). Après un AVC, des protocoles intenses et précoces de rééducation amplifient les phénomènes de plasticité dans les régions voisines de la lésion, grâce à des phénomènes de “prise de relais” fonctionnel (Nudo et al., 2001).

La plasticité peut donc être perçue comme une matière vivante, fragile mais toujours susceptible d’évoluer à la faveur de circonstances favorables.

Perspective(s) : repenser le vieillissement neuronal

L’image d’un cerveau condamné à l’atrophie avec l’âge relève davantage du fantasme culturel que de la réalité biologique. Si certaines fenêtres de plasticité se referment, en particulier pour l’acquisition de fonctions de bases (une seconde langue apprise après 10 ans ne sera probablement jamais “native”, cf. Johnson et Newport 1989), d’autres capacités, plus complexes, bénéficient d’un entraînement continu. La créativité, la capacité à relier idées et expériences, ou à moduler ses propres comportements évoluent et s’enrichissent parfois avec la maturité.

La recherche actuelle déplace la question : il ne s’agit plus de constater un déclin inéluctable, mais de comprendre comment optimiser les réserves de plasticité à chaque étape de la vie. Poétiquement, c’est peut-être la flexibilité des usages, des rencontres et des désirs qui dessine un “cerveau âgé” toujours singulier.

La plasticité cérébrale ne se résume donc pas à une simple courbe descendante ; elle épouse la complexité de nos histoires, de nos environnements, de nos pratiques. Ce ne sont ni les années, ni les rides qui effacent l’espoir d’un cerveau capable d’évoluer. Les chemins qui s’ouvrent ou se ferment dépendent de multiples facteurs, et, dans une certaine mesure, des choix quotidiens. Éclairez-les, cultivez-les, à chaque temps de la vie.

Sources complémentaires :

  • Huttenlocher PR. Synaptic density in human frontal cortex—developmental changes and effects of aging. Brain Res. 1979.
  • Boldrini M et al. Human Hippocampal Neurogenesis Persists throughout Aging. Cell Stem Cell, 2018.
  • Lövdén M et al. Experience-dependent plasticity of white-matter microstructure extends into old age. Neuropsychologia, 2010.
  • Reuter-Lorenz PA, Park DC. How does it STAC up? Revisiting the scaffolding theory of aging and cognition. Neuropsychol Rev, 2014.
  • Kempermann G et al. Environmental enrichment stimulates cell proliferation and neurogenesis in the adult dentate gyrus. Nature, 1997.
  • Colcombe SJ et al. Aerobic exercise training increases brain volume in aging humans. J Gerontol, 2006.
  • Chan AS et al. Music training improves verbal memory. NeuroReport, 1998.
  • Johnson JS, Newport EL. Critical period effects in second language learning: The influence of maturational state on the acquisition of English as a second language. Cognitive Psychology, 1989.

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