Tout handicap — qu’il touche la motricité, la vision, l’audition, la cognition ou le comportement — modifie profondément la relation au monde, mais aussi le fonctionnement du cerveau. Un accident vasculaire, une malformation, une lésion périnatale, une atteinte génétique entraînent souvent la perte ou l’absence d’une fonction. Le cerveau confronté à ce défi produit alors des réponses qui fascinent les chercheurs et ouvrent des pistes inédites.
Cécité : le cerveau recycle-t-il la « zone visuelle » ?
Chez les personnes aveugles de naissance, la « plasticité croisée » (ou cross-modal plasticity) a été démontrée à plusieurs reprises. De spectaculaires études d’imagerie montrent que les aires habituellement consacrées à la vision s’activent lors d’activités non visuelles : lecture en braille, reconnaissance vocale, mémoire verbale (Sadato et al., PNAS, 1996). Ainsi, chez ces personnes, le cerveau semble « recycler » des zones inutilisées pour d’autres fonctions, illustrant magnifiquement le potentiel adaptatif des réseaux neuronaux.
Ce phénomène n’est pas strictement réservé à la cécité congénitale : des personnes devenues aveugles à l’âge adulte montrent également, mais dans une moindre mesure, cette réorganisation (Merabet & Pascual-Leone, 2010).
Amputation, hémiplégie et cortex moteur
Lorsqu’une main ou un membre vient à manquer, le cortex moteur (qui contrôle le mouvement) ou somatosensoriel (qui traite le toucher) s’adapte en réallouant son « territoire » cortical. Ce processus explique en partie le syndrome du « membre fantôme », où une sensation peut persister malgré l’absence du membre. Des travaux pionniers de V. S. Ramachandran montrent que la partie du cortex auparavant dévolue à la main amputée peut répondre à des stimulations du visage (Nature, 1995). Ces réorganisations soulignent la malléabilité exceptionnelle du cerveau en situation de handicap acquis.
Handicaps développementaux : autisme, déficience intellectuelle, troubles DYS
La situation est ici plus complexe. Chez les enfants présentant des troubles du spectre autistique ou des troubles DYS, les profils de plasticité sont souvent hétérogènes. Par exemple, on observe parfois une connectivité accrue dans certaines régions du cerveau, accompagnée d'une connectivité affaiblie ailleurs (Hull et al., 2017). Ainsi, plus qu’une plasticité augmentée ou diminuée en général, c’est la configuration des capacités adaptatives qui paraît remodelée, de façon idiosyncratique.