Quand la science systémique rencontre l’adaptation

Les sciences systémiques émergent au XXe siècle, portées par des penseurs comme Ludwig von Bertalanffy, fondateur de la théorie générale des systèmes. L’objectif ? Rechercher des principes structurels communs à tous les systèmes, qu’ils soient biologiques, sociaux, psychologiques ou technologiques. Au lieu d’analyser chaque élément isolément, la science systémique explore les relations entre les parties, les dynamiques globales, et les propriétés émergentes du système tout entier.

Appliquée à l’adaptation, cette perspective systémique nous apprend que celle-ci ne peut être comprise comme un phénomène purement individuel. Au contraire, c’est une expression des interactions entre un organisme (individu, groupe), son environnement, et les multiples systèmes dans lesquels il s’insère.

Les caractéristiques d’un système adaptatif

Un système adaptatif est par nature dynamique et évolutif. Pour survivre et prospérer, il s’appuie sur plusieurs propriétés clés :

  • L’interdépendance : Les parties d’un système interagissent et influent les unes sur les autres. Par exemple, dans un écosystème naturel, la disparition d’un prédateur peut transformer radicalement la population de proies et, par ricochet, l’ensemble de la chaîne trophique.
  • La rétroaction : Les systèmes adaptatifs fonctionnent sur des boucles de rétroaction. Elles peuvent être positives (renforcer un phénomène) ou négatives (stabiliser le système). Ainsi, un enfant qui reçoit un retour valorisant sur un apprentissage est encouragé à poursuivre dans cette voie, en un cercle vertueux d’adaptation.
  • La résilience : Les systèmes soumis à des perturbations sont capables d’absorber le choc, de s’auto-réparer ou même de se réinventer pour s’ajuster à leur nouvel environnement. En psychologie, cela s’observe dans la capacité des individus à rebondir après un traumatisme.
  • L’émergence : Les propriétés du système ne se réduisent pas à la somme de ses parties. Par exemple, le cerveau humain est doté d’une conscience grâce à ses réseaux neuronaux, alors qu’aucun neurone pris isolément n’en est porteur.

L’adaptation revisitée : contributions clés des sciences systémiques

L’apport des sciences systémiques à la compréhension de l’adaptation se déploie dans de multiples champs, à la croisée de disciplines scientifiques et pratiques. Voici quelques exemples concrets où leurs influences se font particulièrement sentir :

1. Éducation : un regard global sur l’apprentissage

Dans le domaine éducatif, les sciences systémiques offrent un cadre précieux pour repenser les stratégies pédagogiques. Traditionnellement, l’apprentissage était vu comme le développement de capacités individuelles. Désormais, des approches systémiques montrent que cet apprentissage dépend aussi fortement du contexte social, culturel et émotionnel de l’élève.

Un exemple emblématique est le travail sur les “environnements d’apprentissage enrichis”. En pédagogie, un élève ne se contente pas de traiter des informations via des cours classiques : il doit percevoir des intentions bienveillantes chez ses enseignants (motivation affective), coopérer avec ses camarades (réseaux sociaux), et se connecter à des outils technologiques qui renforcent ses apprentissages (interface homme-machine).

C’est aussi le cas des programmes d’éducation inclusive, où les enseignants, travaillant en collaboration avec des assistants éducatifs et des professionnels de santé, mettent en œuvre des aménagements qui reconnaissent les interactions complexes entre l’élève et les systèmes éducatifs et sociaux dans lesquels il évolue.

2. La santé mentale : un équilibre à redéfinir en permanence

Les sciences systémiques, et en particulier la systémique familiale, ont transformé l’approche thérapeutique en santé mentale. Elles invitent les thérapeutes à analyser les symptômes d’un individu non comme une pathologie isolée, mais comme une réponse adaptative au fonctionnement global d’un système familial ou social.

Par exemple, dans les familles où des règles implicites ou des cycles de communication dysfonctionnels persistent, un enfant peut développer des troubles du comportement comme une manière inconsciente de signaler que quelque chose ne va pas. Travailler sur ces interactions systémiques permet souvent de résoudre les difficultés.

En parallèle, dans le domaine collectif, l’approche systémique inspire les politiques de prévention en santé mentale, en analysant l’impact des crises économiques, des pandémies ou des bouleversements climatiques sur le bien-être des populations. Comprendre ces relations complexes permet de mieux anticiper les besoins et de construire des réponses adaptées.

3. L’écologie : quand s’adapter rime avec coévolution

Dans un modèle systémique, l’adaptation d’une espèce ou d’un écosystème n’est jamais autonome. Chaque ajustement influence d’autres éléments du système, provoquant des "coévolutions". En écologie, cela se manifeste par des phénomènes comme les changements climatiques. Des forêts tropicales confrontées à des sécheresses plus fréquentes modifient leur couverture végétale, ce qui à son tour influence les précipitations locales et les cycles d’eau.

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les stratégies d’adaptation basées sur la nature - telles que la revalorisation des mangroves pour prévenir les inondations côtières - sont des exemples manifestes d’approches systémiques qui intègrent les interactions entre systèmes humains et environnementaux.

Pensée systémique : une boussole dans un monde complexe

Au-delà des disciplines, les sciences systémiques nous offrent aussi une méthode : celle de penser les défis de l’adaptation dans toute leur complexité. C’est une invitation à ne jamais réduire un problème à sa surface, mais à en explorer les ramifications, les boucles, les connexions cachées.

Dans un monde en perpétuelle mutation - qu’il s’agisse de l’explosion des innovations technologiques ou des tensions socio-environnementales croissantes - l’analyse systémique devient précieuse. Elle nous pousse à reconnaître que l’adaptation ne peut être pensée en silos, mais qu’elle requiert des solutions pluridimensionnelles, où biologique, psychologique, social et écologique s’entrelacent.

Ouvrir des perspectives nouvelles sur l’adaptation

Les sciences systémiques nous rappellent que l’adaptation est bien davantage qu’un ajustement immédiat face à une contrainte. C’est l’histoire vivante de systèmes complexes qui se modifient, interagissent et parfois innovent face à l’inconnu. Elles nous rappellent aussi notre responsabilité : en tant qu’individus et sociétés, nos choix adaptatifs résonnent au-delà de nos propres existences, façonnant les systèmes de demain.

Pour cela, la pensée systémique mérite d’être au cœur de nos réflexions contemporaines. En modifiant notre regard sur nous-mêmes, nos relations et nos environnements, elle illumine la richesse des connections invisibles qui font de l’adaptation bien plus qu’un simple mécanisme de survie. Une manière, peut-être, de réinventer nos manières de vivre ensemble.

En savoir plus à ce sujet :